Obsolescence programmée – petit défi littéraire

Voici ma participation au défi « Des mots, une histoire 77 » lancé par Olivia sur le blog « Désir d’histoires« .

Le défi : écrire un petit texte dans lequel les mots suivants doivent obligatoirement figurer.

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nuitée – zouk – cadenasser – blues – ventiler – vitreux – bigre – communauté – épice – s’abandonner – pénombre – antichoc – téton – escargot – érable – rancune – massage – détonation – rouler – évanoui

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Obsolescence programmée

«  Souvenez-vous que tout a commencé au XIXème siècle, aux USA, lorsqu’un industriel proposa des cols et des manchettes de papier jetables à destination des représentants qui voyageaient et passaient souvent plusieurs nuitées à l’hôtel. Aujourd’hui, non seulement les objets jetables ont envahi les rayons de nos grandes surfaces, mais nous assistons également à l’explosion de ces techniques visant à réduire la durée de vie des objets qui autrefois se devaient d’être pérennes. La rancune et l’hostilité que certains ont pu manifester à mon égard ne m’arrêteront pas. J’ai des révélations à vous faire. L’obsolesc… »

Charles Louvière n’eut pas le temps de finir sa phrase. Une détonation retentit et le conférencier s’affaissa sur l’estrade, un trou dans la tempe. C’était sans aucun doute l’œuvre d’un professionnel. Une pagaïe monstre s’ensuivit, les spectateurs couraient en tous sens et cherchaient à gagner la sortie. La communauté de scientifiques venus spécialement pour l’occasion était atterrée, quant aux organisateurs, ils étaient trop abasourdis pour réagir avec lucidité. Il faut dire qu’une telle chose ne s’était jamais produite dans cette salle de cinéma transformée pour l’occasion en salle de conférences. Les quelques vigiles présents n’étaient pas davantage préparés à ce type de situation et lorsqu’ils pensèrent à cadenasser les portes d’entrée, il était déjà trop tard.

Personne ne le vit, lorsqu’il sortit discrètement en se fondant dans la foule, une mallette à la main. L’homme s’engouffra dans la station de métro la plus proche en sifflotant un air de zouk et s’évanouit dans la pénombre souterraine.

Dès le lendemain matin, l’affaire faisait les gros titres des journaux : « Assassinat du professeur Louvière », « Crime au cinéma ‘Le Vox’ ». L’actualité qui jusqu’alors faisait la une, comme l’abattage des érables du bois de Vincennes, était passée au second plan. Ce crime était une véritable énigme. La police pataugeait complètement, malgré la pression du ministère de l’Intérieur qui exigeait des résultats dans les 48 heures. Rien, il n’y avait rien à se mettre sous la dent, aucun indice.

Raoul Gimont venait de recevoir le texto sur le téléphone portable jetable, enveloppé d’un emballage antichoc, qui lui avait été expédié par son commanditaire. Il ne connaissait pas son identité et c’était aussi bien. Peu lui importait de savoir pourvu qu’il ait son argent. Raoul devait récupérer le sac contenant les billets le soir même à 22 heures, dans une cache située dans les catacombes. Il lui faudrait y pénétrer lors d’une visite organisée l’après-midi et s’y laisser enfermer. Son billet d’entrée avait été réservé.

Le reste de la journée lui sembla interminable, tant il avait hâte d’avoir l’argent entre les mains. Il faut dire que Raoul était un joueur invétéré et les billets lui filaient entre les doigts comme s’ils étaient brûlants. 16 heures 30 sonnèrent, l’heure de la dernière visite organisée. Il descendit les marches au milieu les autres visiteurs, en direction du célèbre ossuaire situé au cœur du Paris souterrain.

Bigre, fit-il en lui-même, en découvrant les lieux !

Le groupe parcourut de longs tunnels voûtés, entièrement tapissés d’ossements humains. Les visiteurs se déplaçaient avec une vivacité proche de celle de l’escargot, ce qui avait le don de  l’agacer prodigieusement.  Ils s’agglutinaient autour du guide pour être aux premières loges et mieux entendre l’histoire de ce lieu insolite.  Il  en profita pour s’éloigner discrètement et s’engagea dans une bifurcation interdite au public, qu’il reconnut grâce à la description qui lui en avait été faite : à cet endroit-là un crâne semblait sortir de la paroi, tel un téton osseux.  Un peu plus loin, à l’abri des regards, une excavation lui apparut, celle-là même qui lui avait été indiquée. Il s’y réfugia.

Les bruits de pas s’éloignaient. A présent, il était seul. Une fois de plus, le temps semblait s’être ralenti. Il lui fallait prendre son mal en patience. Les sons paraissaient étouffés et les bruits de la ville ne parvenaient même pas jusqu’à lui. Deux bonnes heures s’étaient écoulées et il commençait à sentir ses muscles s’ankyloser.  Ayant encore de longues heures devant lui, il  put  s’abandonner à un massage, indispensable lui sembla-t-il s’il ne voulait pas risquer d’attraper des crampes. Il avait bien le temps, d’autant plus que cet endroit confiné et peu ventilé avait de quoi donner le blues au plus aguerri des tueurs à gages.  Finalement, il s’assoupit et fut réveillé en sursaut par des bruits de pas sur sa gauche. Un rapide coup d’œil à sa montre lui indiqua qu’il était 21 heures 30, un peu trop tôt pour le rendez-vous. Il n’eut pas le temps de réaliser, alors qu’il s’écroulait sous les coups de couteau de ses assaillants, au nombre de cinq. Cinq hommes, parmi les dirigeants des cartels industriels les plus puissants, qui avaient décidé de salir leurs mains pour mettre définitivement un terme à toute cette histoire. L’œil vitreux, il passa de vie à trépas, en respirant une odeur d’épice qui lui semblait familière.

Un peu plus tard dans la nuit, ces mêmes individus, réunis dans un endroit tenu secret, décidaient de ce que serait désormais le lot quotidien des pauvres consommateurs qui une fois de plus se feraient rouler dans la farine.

– Une ampoule : 600 heures, un réfrigérateur : 7 ans, une machine à laver : 7 ans, une automobile : 10 ans…

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Les coulisses de l’histoire

(merci à lucie38 qui m’a inspirée cette expression)

Lorsque j’ai allumé la radio, samedi, j’ai pris en route une émission dont le sujet était la société de consommation, le jetable, et surtout l’obsolescence programmée. J’en avais déjà vaguement entendu parler, mais j’étais stupéfaite que ce sujet, que les industriels préfèrent taire, soit abordé à la radio. Il y était entre autres question de recherches menées pour limiter la durée de vie des ampoules, durée qui était passée de 2500 heures à 1000 heures. Je me suis demandé ce qui se passerait si quelqu’un osait s’opposer à ce type de pratiques. Et voilà, cette histoire est née de mes interrogations.

Cela dit, il était également question de l’obsolescence psychologique. C’est le fait par exemple de sortir tous les ans un nouveau modèle de Smartphone, dont on sait que certains ne pourront absolument pas se passer. Peut-on dire dans ce cas que ces consommateurs ont été manipulés ou qu’ils ont succombé en toute connaissance de cause ? Je pense qu’il y a un peu des deux, dans la mesure où il s’agit d’un besoin créé de toutes pièces…

Et vous, qu’en pensez-vous ?

37 réflexions sur “Obsolescence programmée – petit défi littéraire

  1. Joli! J’aime bien l’idée de ces oligarques qui s’entendent entre eux sur la durée de vie des produits, et qui vont jusqu’à magouiller un double meurtre pour arriver à leur fin. C’est vraiment bien joué.
    Ah et j’ai adoré cette phrase : « L’actualité qui jusqu’alors faisait la une, comme l’abattage des érables du bois de Vincennes, était passée au second plan. » Ça semble absurde au premier coup d’œil, et beaucoup moins au regard de nos journaux télévisés. Bref, ça m’a bien plu 🙂

  2. Excellent récit qui traite d’un sujet presque tabou à partir de ces mots imposés. C’est écrit clairement, la lecture est fluide, rapide et on imagine fort bien le décor et l’action. Cette histoire semble d’ailleurs crédible : des personnes comme ce professeur qui dénonce des agissements malhonnêtes sont une entrave à la bonne marche des affaires et sont considérés comme des agitateurs qu’il faut empêcher de parler. Il existe de telles personnes mais jusqu’ici nul n’a osé les assassiner.
    Cette façon de nous rappeler que des industriels nous poussent à consommer encore plus est la preuve d’un bon maniement de notre langue et d’une connaissance du sujet.
    Si cette obsolescence programmée a fait des victimes parmi les consommateurs bien préparés et bien conditionnés, il semble qu’un mouvement de contre attaque de ces pratiques se met en place. En effet, de plus en plus d’artisans créent leur petite entreprise dans lesquelles sont réparés des objets soit disant hors d’usage. Avec la crise, les consommateurs commencent à prendre conscience que leurs biens sont réparables pour des sommes inférieures à du neuf.
    Un début de révolte pacifique contre des industriels et des financiers sans crupules et malhonnêtes ? Le début de la fin de la société de consommation à outrance ?

    • Merci trigwen.
      Heureusement, c’est une fiction et les agitateurs ne se font pas assassiner à tous les coins de rues…
      C’est bien si de petits artisans contre attaquent. Le problème, c’est lorsque la réparation coûte plus cher que l’objet neuf. Que faire… ?

  3. Pingback: Repartir « Désir d'histoires

  4. Foi de tueur à gage je n’aurai jamais donné rendez-vous dans les catacombes: il faut n’avoir aucun respect pour les morts. Ps: il existe des revolvers jetables, made in China.

  5. On peut dire que ça bouillonne dans ta tête, bravo pour se texte écrit à la perfection!!!
    Bisous et bon week-end!!!
    Domi.
    Tu vas recevoir une invitation pour un annuaire, ne jette pas tout de suite à la corbeille, cela vient de moi, un petit clic ne t’engage en rien, promis!!!

  6. paresseuse naturellement, lorsque j’ai vu la longueur du texte, j’ai esquissé une moue légère, puis, prise la main dans le sac, j’en suis arrivée, ravie, aux coulisses. Bientôt, à l’allure ou nous allons, les ampoules seront rien par rapport à l’obsolescence de l’homme. Enfin… c’est juste une idée bisettes bonne soirée

  7. Ah j’adore ce genre de roman ! Un peu à la Dan Brown 😆
    C’est trop fort mais, on en revient, on recycle tout… depuis peu !
    Une chance pour nos blogs !
    Bon we & bisous d’O.

  8. Très bonne histoire encore une fois! J’aime vraiment comment tu utilises les mots du défis. Ils ne semblent pas plaqués dans l’histoire, mais s’intègrent et y ajoutent même une dimension supplémentaire comme le zouk siffloté et le blues du tueur à gages!

  9. Ah! J’aime ce genre de récit, où le karma rattrape le malfaiteur. Si seulement la vie était ainsi… M’enfin. Histoire percutante sur un sujet assez préoccupant! Car en plus du portefeuille du consommateur pris en otage, il y a aussi l’environnement qui subit les conséquences de tout ce gaspillage. Merci pour la lecture!

  10. Pas toujours facile de trancher , remplacer ou pas son matériel alors qu’il n’est pas usé maiqu’il y en a un plus beau, plus rapide, plus fun …..Cette année, nous avons cédé aux sirènes de la consommation à la maison. Pour l’entrée en 6eme de le grande, achat d’un téléphone pour elle ( tellement rassurant pour les parents), d’un sac eatspak (tous mes copains en ont un)…….
    Bravo pour le texte en général et l’utilisation de téton en particulier 🙂

    J’aime

    • C’est sûr, c’est souvent difficile de ne pas céder aux sirènes des nouvelles technologies. On se fait tous avoir un jour ou l’autre.
      A la lecture des autres textes, j’ai eu l’impression que ce téton en a agacé plus d’un 🙂

  11. très bien écrit ton texte et j’aime beaucoup le sujet. je trouve lamentable qu’on puisse être payé pour chercher à réduire la durée de vie d’une machine, parce que c’est bien de cela aussi,en plus, qu’il s’agit , c’est affligeant de voir de telles pratiques… j’en ai assez de tout cela… toujours le bénéficie, le bénéfice, au détriment des petites gens et de notre planète bien sûr…
    bon week-end 😉

  12. Très beau récit, le suspense entretenu, la chute inattendue et surtout cette vérité qui fait de nous des pigeons… orientons nous vers la location des ces machines, la durée de vie serait plus longue et bien entretenue.
    Bonne soirée
    @mitié

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