Le terrain vague

FricheDésormais, le terrain vague avait disparu derrière une haute palissade. En moins de deux jours, elle avait été érigée par une équipe d’ouvriers venus d’on ne sait où. Ils parlaient un dialecte que nul n’avait jamais entendu. Le troisième jour, le bruit des marteaux se tut. La friche était définitivement masquée aux yeux des curieux. De tous les gamins du quartier, José était le plus débrouillard, mais aussi le plus rebelle.

— Notre terrain de jeu ! Ils ont barricadé notre terrain de jeu, s’écria-t-il en donnant un coup de pied rageur à une planche de bois.

D’autres enfants s’approchèrent. Gilles, genoux écorchés et tignasse d’un blond filasse en désordre. Marco, le plus jeune, serrant dans ses menottes un diplodocus en plastique qui en avait vu de toutes les couleurs. Enfin, Gaëlle, rouquine en robe courte et socquettes blanches bordées de dentelle déchirée. Ils avaient amassé tant de trésors au fil de leurs escapades au milieu des hautes herbes. Casseroles cabossées détournées en percussions, tube de dentifrice à moitié vide, cartons d’emballage avec lesquels ils fabriquaient tout un dédale de couloirs et de passages secrets. Un jour, ils trouvèrent même un vieux dentier jauni dont José se servit pour se déguiser en monstre. Ce jour-là, il avait tellement ri devant la mine apeurée de Marco.

— C’est dégoûtant ! s’était alors exclamée Gaëlle, quand il s’était emparé de cet accessoire grotesque et répugnant.

Le dédain se lisait sur sa frimousse. Pourtant, elle n’avait pas été en reste, lorsqu’elle avait ramené du jardin du père Mathieu une boite en fer remplie de doryphores dont elle s’était servi pour décorer un gâteau confectionné avec un peu de terre et d’eau.

Ici, les activités de gosses de riches n’avaient pas cours. Pas de leçons de musique, de séances de poney, ni de cours de danse. Pas de douceur ni de délicatesse, uniquement la violence distillée au quotidien, sans cesse, comme un disque rayé. Ici, on ne vous apprenait pas à dire « s’il vous plaît » ou « merci », ici, on vous décalquait contre le mur si vous faisiez preuve d’insolence. Le danger vous guettait à tous les coins de rue. Le terrain vague, c’était la liberté, un don du ciel pour ces gamins qui n’avaient rien d’autre que leurs rêves. La décision de la ville avait été drastique. Bientôt, une tour de vingt étages se dresserait là, avec un centre commercial flambant neuf, un nouveau départ pour ce quartier qu’ils disaient en déclin. C’est drôle, en pensant bien faire, ils allaient livrer ces gamins à la rue et en faire des parias. Non, au fond, tout ce déballage n’avait rien de drôle.

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Ceci est ma participation au défi
LES PLUMES à thème n°26  lancé par Asphodèle
sur le blog  Les lectures d’Asphodèle .Ecritoire

L’exercice consistait à rédiger un texte ayant pour thème « la ville ». Les mots suivants étaient imposés :

Dentifrice, délicatesse, deux, débrouillard, désirer, danse, danger,
diplodocus, dentier, désordre, décalquer, drastique, douceur,
dédain, désormais, dentelle, dromadaire, don, dédale, déballage,
doryphore, drôle, départ, disque, déclin, distiller
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Les coulisses

Cette semaine, pas de nouvel épisode pour mon histoire. Quand j’ai vu tous ces mots, j’ai pris peur et j’ai préféré rédiger un autre texte. Au début, je pensais écrire une histoire d’animaux, mais après plusieurs tentatives infructueuses j’ai renoncé. Parfois, quand l’inspiration me fait défaut, j’écris plusieurs débuts et j’en sélectionne un. Cette fois-ci, je suis partie sur l’idée de la palissade derrière laquelle je ne savais pas trop  ce qui allait se cacher. Et puis, j’ai laissé aller mes doigts sur le clavier…

Est-ce que cela vous arrive à vous aussi d’écrire plusieurs débuts d’histoire avant de trouver celle qui vous convient ?

40 réflexions sur “Le terrain vague

  1. Un texte triste sur ces gamins livrés à eux-mêmes. L’urbanisme arrive partout et nos anciens terrains de jeux deviennent des quartiers huppés ou des tours géantes.
    Moi, pour le texte je l’imagine dès que je vois les premiers mots, je laisse vagabonder mes idées et je le mets à l’écrire dès le lundi soir. Je ne fais jamais plusieurs début d’histoire (mais j’en suis qu’à la deuxième fois).
    Bon week-end

      • Je pense que oui, cela me vide la tête et me fais un bien fou tout d’abord de l’écrire, puis de lire vos réactions. J’adore aussi lire vos textes car avec les mêmes mots nous allons dans des directions totalement opposées et c’est cela que j’aime dans ce défi.

  2. J’aime beaucoup tes gosses de pauvres…ils ont de la tendresse dans le regard et dans leurs mines de poulbots chiffonnées…un petit air de  » guerre des boutons » bien rafraîchissant dans ce monde où les gosses ne savent plus monter aux arbres et d’écorcher les genoux dans de vrais jeux…et la fin de ton texte est une vraie réflexion sur l’inhumanité du monde des promoteurs. Bravo!

  3. Où avais-je lu ça,: la friche qu’une municipalité avait laissée à l’abandon pour que les gosses puissent s’y livrer loin du regard des adultes, en réelle liberté à la Guerre des boutons ? Allez : avouez gens du xxième siècle que vous tremblez en imaginant cela.
    De mon enfance des années 60 (xxème siècle) je garde tant de souvenirs de ma vie au grand air, certes à la campagne et non dans la banlieue bétonnée ,mais dans le monde des odeurs, de la nature, au rythme des saisons…
    Cordialement
    http://www.trainsurtrainghv.com

  4. Beaucoup de tendresse à travers ta description… j’aime bien;
    Pour répondre à ta question, oui parfois je commence un texte et puis, bof, non il ne me plait pas et le lendemain, ça a été le cas avec ce défis là, les mots prennent un autre sens et c’est ce dernier qui répond à mes attentes…

  5. Eh bien finalement tu as bien fait de laisser ton histoire le temps de cette escapade désenchantée ! Elle est fort bien écrite et nous laisse au coeur une tristesse infinie. Comme quoi même sans jouets (et surtout sans jouets) sont capables de faire fonctionner leur imaginaire et de s’amuser vraiment… Très joli texte MCL !
    Pour répondre à ta question des « coulisses », il m’arrive rarement de faire plusieurs débuts pour les textes sinon je n’arrive à rien ! En revanche, des débuts de romans ou autres nouvelles, j’en ai plein mes tiroirs ! 😆

  6. Les trésors de jeux ou les doudous….,les créations d’enfance !On s’y retrouve!
    Non ,cela ne m’arrive pas (d’écrire plusieurs débuts d’histoire), mais je n’en écris pas souvent !!!
    Celle-ci est nostalgique

  7. Le début m’a fait penser à la guerre des bouton ou le petit Nicolas et puis on arrive à notre époque où il faut tout réhabiliter pour gagner plus. Bravo pour ce texte très juste.
    Pour mes textes des plumes je lis les mots plusieurs fois et souvent d’un coup l’idée arrive avec une phrase et je brode autour.

  8. Oui, c’est bien les grands espaces, y laisser développer l’imaginaire, gosses de riches ou pas.
    De mon temps, zut, mon dentier tombe…de mon temps, nous jouions beaucoup, sans rien, juste des envies de jouer à faire ceci ou cela…sans tous ces gadgets; la société de consommation est passée par là.
    Pour l’écriture, soit j’ai la bonne piste tout de suite, soit je tente des débuts d’histoire, comme avec cette collecte en D, ou je n’écris pas, mais tout d’un coup, ça vient.

    • Tenter des débuts d’histoire, c’est aussi ce que je fais quand je ne suis pas satisfaite de ce que j’écris. Pour ça, le traitement de texte est parfait. Je peux visualiser tous mes débuts en un seul coup d’œil, puis, comme tu le dis, tout d’un coup ça vient. Dans ces moments-là, ça vient mais bien souvent ce n’est pas du tout ce que j’avais imaginé.

  9. J ai connu les terrains vagues dans mon enfance on n’étaient pas des enfants qui trainaient dans la rue mais cetait notre espace de jeux parce quon jouait pas a la play
    J adorais ces endroits on s y inventaient des mondes a nous
    Ton histoire m a renvoyé a de doux souvenirs lointains tres lointains
    maintenant tout est betonne partout

  10. Les oubliés de la vie ces gamins livrés à eux-mêmes. J’ai le souvenir de terrains vagues dans mon enfance mais en dehors de cailloux il n’y avait pas de détritus comme aujourd’hui.
    Bon texte
    Bisous

  11. Un petit côté « Petit Nicolas » et « Guerre des boutons », mais malheureusement, la chute n’est pas gaie, mais oh combien lucide

    • Je n’écris pas depuis très longtemps. Un peu plus de 3 ans peut-être… J’ai longtemps été convaincue que je n’en étais pas capable et donc, quand on se considère nul dans un domaine, on le devient… Il y a quelques années, à l’occasion de cours du soir en informatique, j’ai suivi un cours de communication écrite qui m’a ouvert les yeux. Le prof n’était pourtant pas facile (très exigeant et parfois cassant), mais j’ai été réellement passionnée par son enseignement, qui m’a redonné confiance en moi. Et voilà comment tout a commencé… 🙂 J’écris surtout de courtes nouvelles. Peu importe le sujet, j’essaie autant que possible de soigner la chute, qui me parait être l’élément le plus important dans une histoire courte . Malgré tout, je n’écris jamais d’histoires de vampires ou de morts vivants et j’ai du mal pour ce qui est d’inventer des mondes qui n’existent pas (sauf si l’histoire se passe dans le futur, pourquoi pas…).

  12. Je retrouvais un peu de mon enfance au début de ton histoire, mais la deuxième partie est triste, vire dans l’angoisse et la peur
    et là, je ne m’y retrouve pas du tout
    merci MCL, pour ce joli récit

    • Et oui, c’est du vécu tous ces souvenirs d’enfance. Dans mon cas, les champs ou bien le petit bois dans lequel on allait jouer n’ont pas été remplacé par une tour mais par des lotissements. C’est moins triste, mais tout de même, quand j’y retourne et que je vois ce que c’est devenu, je regrette ces grandes étendues, loin des dangers de la circulation. Pour les gamins, c’était le paradis…

  13. J’ai beaucoup aimé, cela m’a fait penser à une scène du film « La guerre des boutons » 😉
    Perso j’ai vécu cette époque et je n’en garde que de bons souvenirs!!!
    Bisous MCL et merci pour le partage.
    Domi.

  14. ils n’ont sans doute pas été les seuls à être privés de leur terrain de jeux, j’ai connu une enfance en pleine nature et sans surveillance, pourtant fille de gendarme ! ha ah ah !

    • « Sans surveillance », c’est ça qui est fou. A l’époque, on se sentait davantage en confiance. Les voisins se connaissaient tous et gardaient sûrement un œil protecteur sur les gamins qui jouaient à proximité.

  15. C’est vrai que la récolte de cette semaine-là était très difficile ! J’avais pour ma part fait l’impasse et rédigé un texte perso ^^ En tout cas, le tien est criant de vérité et laisse un petit goût de nostalgie. ‘Le temps d’avant’ où les enfants avaient besoin de peu, et où l’urbanisation n’était pas encore dévorante…

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