La collecte d’Halloween – petit défi littéraire

Voici ma participation au défi « Des mots, une histoire 79 » lancé par Olivia sur le blog « Désir d’histoires« .

Le défi : écrire un petit texte dans lequel les mots suivants doivent obligatoirement figurer.

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alchimie – blouse – histrion – carrosse – amélioration – sécurité – évidemment – poésie – don – chaste – convenance(s) – antienne – alternance – champion – romain – robe – poil – sphinx

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La collecte d’Halloween

Les enfants s’étaient séparés en petits groupes de trois pour la tournée traditionnelle d’Halloween. Chaque groupe s’était vu attribuer une rue du village par le chef des scouts qui n’était autre que l’histrion de service. Dieu que ce garçon était bête ! L’été passé, il les avait emmenés camper dans une clairière qui s’était avérée le pire endroit possible : l’étang  juste à côté était infesté de moustiques, la voie ferrée passait à proximité et il avait plu pendant tout le week-end sans espoir d’amélioration. Pour passer le temps, ils avaient entonné à tue tête des chansons grivoises au mépris des convenances, là où bien  évidemment on se serait plutôt attendu à de sages antiennes. Un week-end mémorable !

Tous les gamins, rassemblés sur la place du village, se dispersèrent au coup de sifflet. Pippo, Sag et Lucas se dirigèrent en traînant ostensiblement les pieds vers la rue des Chastes. Bien des langues se déliaient dès qu’il s’agissait d’évoquer la grande demeure qui faisait l’angle, juste après la fontaine aux lions. La maison aurait été habitée par une vieille folle, une espèce de sorcière, avaient-ils entendu dire, ce qui ne les réjouissait pas outre mesure. Du haut de ses douze ans, Pippo, de par son statut de « grand », devait se montrer courageux face à ses deux cadets. D’ailleurs, si son père lui donnait  du « Champion » à tout bout de champ, ce n’était sûrement pas pour rien. Malgré son assurance de façade, Sag et Lucas se sentaient en sécurité. Lorsqu’ils arrivèrent au 1 rue des Chastes, la maison leur parut encore plus lugubre qu’à l’accoutumée. La nuit commençait à tomber. Une faible lueur transparaissait au travers des vitres recouvertes d’une couche de crasse. Etait-il possible que la vieille s’éclaire encore à la lampe à huile ? La porte d’entrée, encadrée de fausses colonnes romaines, n’était pourvue d’aucune sonnette. Le garçon actionna le heurtoir en bronze, en forme de main : toc toc toc ! Après un temps qui leur parut interminable, la porte s’ouvrit dans un long grincement et une vieille femme au visage renfrogné leur apparut.

– Des bonbons ou un mauvais tour, firent en chœur les enfants !

– Un don ? Vous voulez de l’argent, c’est ça ? Vous croyez que je n’ai que ça à faire, vilains garnements !

– Non, non ! Nous demandons juste des friandises, s’écrièrent-ils en tendant une corbeille en osier !

– Ah, des bonbons ! Il fait froid dehors, entrez vite !

Elle claqua violemment la porte derrière eux et la referma à double tour. La pièce était plongée dans l’obscurité. Une pâle lueur provenait du fond de la grande pièce. La lumière émanait d’une citrouille, posée sur une table. Des trous, percés ça et là, lui donnaient l’apparence d’un visage boursouflé et monstrueux. La vieille femme était vêtue d’une sorte de  robe ou de blouse à carreaux défraîchie. Il émanait d’elle des effluves de biscuit rance qui obligèrent Sag à froncer le nez. Pendant qu’elle s’éloignait vers la cuisine à la recherche de friandises, les gamins inspectèrent la pièce. L’odeur ambiante d’humidité, la fine pellicule de poussière qui recouvrait le moindre bibelot, tout évoquait ces maisons restées trop longtemps inhabitées. Un livre étrange était posé sur la table, à côté de la citrouille. Sa couverture, illustrée d’une créature de légende qui rappelait le sphinx, faisait penser à un antique grimoire traitant d’alchimie ou de sorcellerie plutôt qu’à un recueil de poésies. Et si la vieille femme s’apprêtait à utiliser une formule magique sur la citrouille, ou pire, sur eux !  Il y avait bien une histoire qui racontait la transformation d’une citrouille en carrosse non ?

Lucas, le plus jeune, se mit à geindre en se tortillant, puis ce fut le tour de Sag qui commençait à s’impatienter et demandait en pleurnichant à rentrer à la maison. Tantôt l’un, tantôt l’autre tirait sur la manche de Pippo avec insistance.  L’alternance parfaitement synchronisée de leurs jérémiades agaçait le garçon qui n’avait qu’une hâte : se débarrasser de ces deux boulets.

– Madame, héla-t-il  d’une voix peu assurée !

La situation prit une tournure vraiment désagréable lorsqu’une petite musique lancinante s’éleva. Elle accentuait l’atmosphère lugubre qui régnait dans cette grande maison à l’aspect délabré.

– Madaaame, cria-t-il ! ça ne fait rien si vous n’avez pas de bonbons. De toute façon, il est tard et nos parents nous attendent.

La vieille pointa le bout de son nez, long, crochu et parcouru de vaisseaux violacés qui en faisait une vision d’épouvante. Pippo n’avait pas remarqué à quel point sa peau était parcheminée, comme si elle allait craquer au moindre mouvement.  Que resterait-il de ce visage au teint olivâtre et aux joues couperosées si elle venait ne serait-ce qu’à éternuer ? Sa peau se craquèlerait et partirait en lambeaux, c’est sûr, pensait le garçon qui  à présent n’en menait pas large.

– Désolée les enfants, je n’ai pas de bonbons à vous donner, fit-elle d’une voix chevrotante. Je n’ai rien trouvé.

– Tant pis, ce n’est pas grave. Une autre fois !

Pippo en profita pour entraîner ses petits camarades vers la porte d’entrée. Il tourna la clé et ouvrit la porte en grand.

– Attendez !

La vieille plongea la main au fond de la poche de son tablier et en sortit quelques pastilles vertes, ou plutôt un mélange de bonbons verdâtres et de miettes, auxquels étaient collés quelques poils de chat. Aucun ne pipa mot. Le cœur battant, Sag tendit timidement  la corbeille, dans laquelle une main aux ongles crasseux déposa un petit tas informe de bonbons agglutinés.

– Merci madame, firent-ils en courant en direction de la rue, sans se retourner.

La tournée d’Halloween n’avait plus la moindre importance. Ils n’avaient qu’une hâte, se retrouver en sécurité chez eux, avec leurs parents. Peu importe si cette année, pour la première fois, ils ne revenaient pas les bras chargés de roudoudous, rouleaux de réglisse, fraises tagada et autres bonbons multicolores. Avant même d’arriver chez Sag, Pippo vida le contenu de la corbeille en osier dans une poubelle. Ces bonbons étaient vraiment trop dégoûtants !

Cette nuit-là, à minuit pile, alors que tout le monde dormait, les petites pastilles verdâtres se mirent à scintiller intensément au fond de la poubelle. Nul ne les vit. Qui sait quel pouvoir recélaient ces minuscules bonbons que les enfants avaient aussi prestement dédaignés ?

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Les coulisses de l’histoire

J’avais dans l’idée d’écrire un texte sur Halloween, puisque la période s’y prête.  L’inspiration est venue au fur et à mesure, en utilisant les mots. Pour me mettre dans l’ambiance, j’ai écouté un extrait de la musique du film « Edward aux mains d’argent » de Tim Burton. Si vous aussi, vous voulez entendre la petite musique lancinante qui effraie les gamins lorsqu’ils sont dans la maison, c’est ici :

http://www.deezer.com   => rechercher « Tim Burton » puis cliquer sur l’extrait   Tim Burton –  Thème principal de « Edward aux mains d’argent »  (1er extrait).

31 réflexions sur “La collecte d’Halloween – petit défi littéraire

  1. Mais que contenait les pastilles vertes… Peut-être était-ce la poule aux œufs d’or. En tout cas, j’ai bien cru qu’ils allaient se faire manger tout cru.
    avec le sourire

  2. Brrr, quel magnifique conte de saison. 😀 J’espère que tu développera, je suis curieuse de savoir quels pouvoirs ont ces pastilles vertes. 😀 Tout simplement génial. 😀 J’adooore ! 😀

  3. Mmmh, charmant.
    D’actualité, et doublement, pour moi : une vielle femme a pénétré dans mon appartement, une démente, en fait, et a terrorisé mes deux enfants. 😦

  4. Et pour que Pippo ne pipa mots c’est que Pippo allait faire popo dans son pantalon mdr!!!
    Superbe ton histoire. Pourtant je ne suis pas fan de cette fête d’Haloween devenue trop « in », en plus les histoires de citrouilles me flanquent la trouille, moi qui suis née le jour des morts c’est un comble non? mdr!!!
    Bisous et bon week-end!!!
    Domi.

  5. super histoire ! j’ai adoré ! mais j’ai ressenti de la tristesse pour les pastilles car je me suisdit que c’était des pastilles qui auraient surement donné de très bonne chose … 🙂 en tout cas bravo pour ce texte très prenant ! 🙂 bises et bon week-end

  6. J’ai vraiment adoré cette histoire, qui a des relents familiers mais aussi une poussière toute neuve. Les poils de chat sur les pastilles vertes, beurk! La description de la vieille… pauvres enfants… Trick or treats!

    • Ah, les miettes et poils de chats collés aux pastilles sorties de la poche du tablier des mamies… C’est une anecdote entendue de la bouche d’un conférencier, il y a déjà pas mal d’années. Le public avait éclaté de rire à cette évocation et j’avais compris qu’elle rappelait des souvenirs à beaucoup d’entre nous et nous replongeais dans notre propre enfance. J’ai eu envie de l’introduire dans cette histoire.

  7. Ouf! J’ai cru que c’était une sorcière comme dans Hans et Gretel! ET bravo pour la chute. Au moment où le lecteur est soulagé que les enfants s’en soient sortis, on regrette qu’ils aient jeté les bonbons et les aventures merveilleuses qui vont avec (j’en suis certaine!)!

  8. C’est marrant, les lecteurs/lectrices se focalisent toujours sur une seule idée !
    Pourtant, Halloween sans citrouille, ça se peut pas 😆
    Présent-Futur mélangé, tu as fait fort cette semaine 😉
    Que vas-tu dire le 31 ? rien ?…
    Bon dimanche & bises d’O.

  9. Belle histoire, et de saison 🙂 Un instant, j’ai cru à une variante d’Hansel et Gretel – je voyais presque déjà les monceaux de gateaux et de biscuits et, bien sûr, le four! Mais ma curiosité est piquée: cette sorcière en était-elle une? Et qu’étaient ces fameux bonbons verts si peu ragoûtants?

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