Le concert est annulé – petit défi littéraire

Voici ma participation au défi “Des mots, une histoire 76″ lancé par Olivia sur le blog “Désir d’histoires“.

Le défi :  écrire un petit texte dans lequel les mots suivants doivent obligatoirement figurer.

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huppe – finasser – univers – flammèches – enquiquiner – saturation – évidence – époustouflant – attente – rituel – collection – hôpital – qui – nouveauté – mollusque – fabuleux – retraite – tordre – chicaner – blanc – portière

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A la fin du texte, vous trouverez un mini bonus, où j’explique comment m’est venue l’idée de cette histoire…

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Le concert est annulé

Un attroupement s’était formé autour de l’écriteau, des jeunes gens pour la plupart. Le concert avait été annulé. Le fait que les organisateurs aient fait profil bas et se soient défilés n’était pas en soi une grande nouveauté. Mais personne n’avait été informé, ce qui était un comble à l’heure des réseaux sociaux,  quand toute information mettait moins d’un quart d’heure pour faire le tour de la planète. Quelques quidams, dont la patience était arrivée à saturation, exprimaient un vif mécontentement, ce qui  laissait présager que l’univers musical n’adoucit pas toujours les mœurs. Tous s’étaient déplacés pour l’occasion en ce lieu fabuleux qui n’était pourtant pour la plupart d’entre eux qu’un  trou perdu. Qu’en avaient-ils à faire, eux, si le concert de rock était organisé dans l’une des plus belles cités médiévales du sud de la France ? Ils n’étaient pas venus ici pour faire du tourisme. Seule leur importait la musique.

Le soleil entamait sa descente à l’horizon. De part en part, on pouvait entendre le bruit strident des rideaux métalliques se baissant les uns après les autres. Les commerçants, face à l’animosité de ce jeune public, avaient décidé de battre en retraite et commençaient à plier boutique. Il était trop tard pour finasser, c’était une évidence, même si leur chiffre d’affaire risquait d’en pâtir. Une vague humaine s’insinua tel  un gigantesque mollusque à tentacules dans les ruelles menant aux  remparts pour rejoindre le parking. Les portières commencèrent à  claquer. A quoi bon rester, cela n’avait plus la moindre importance. Une heure plus tard, seule une dizaine de personnes demeuraient là,  au milieu de la place, une véritable collection de voyous déterminés à en découdre. On avait décidé de les enquiquiner ! Qu’à cela ne tienne, eux ne se contenteraient pas de chicaner.  Le petit groupe s’engouffra dans la rue Voltaire et se dirigea d’un pas décidé vers la Cathédrale Saint-Michel, célèbre pour ses époustouflantes gargouilles au faciès monstrueux. Du haut de ses huit siècles, l’édifice les dominait dans toute sa splendeur, mais ils n’en avaient cure. Ils s’approchaient hargneusement de la grande porte, armés de barres de fer, lorsqu’une voix les héla :

– A votre place, je n’y penserais même pas !

Une jeune fille à l’allure étrange, toute de blanc vêtue, les fixait d’un regard limpide. Assise tranquillement sur un banc, une huppe au plumage mordoré perchée sur son épaule, elle souriait. Son ton n’avait rien d’ironique.

Quelques garçons firent mine de se tordre de rire, comme s’ils avaient affaire à une folle, échappée d’un hôpital psychiatrique. L’oiseau, effrayé, agita ses ailes en laissant échapper quelques plumes de couleur rousse telles de flamboyantes  flammèches.

– Si vous touchez à la moindre pierre, si vous dégradez quoi que ce soit, je ne donne pas cher de vous, car depuis toujours Dame Carcas veille sur la cité.

La gamine ne reçut pour toute réponse que des ricanements grinçants et quelques grossièretés appuyées. Le premier coup partit, suivi de plusieurs autres. La porte de la cathédrale, une magnifique pièce de bois sculptée, résistait à ses assaillants et ne subit que peu de dommages. Très vite, ceux-ci se lassèrent et, de rage, se mirent à insulter celle qui les avait provoqués. La jeune fille dénoua le foulard de mousseline blanche qui entourait sou cou gracile et se leva. Elle fit tournoyer l’étole au dessus de sa tête, tout en pivotant sur elle-même, dans une sorte de rituel ancestral. Une fine poussière s’en échappa, formant un nuage laiteux qui enfla rapidement jusqu’à se transformer en une brume cotonneuse.

Le brouillard devint si épais que les garçons apercevaient à peine le bout de leurs pieds. La jeune fille avait disparu de leur champ de vision. Décidés à se sortir de cette situation cauchemardesque, ils tentèrent de repartir vers le pont-levis, seule issue pour quitter la cité. L’enchevêtrement de ruelles avait tout d’un labyrinthe. Partout, ce n’étaient que pavés et enfilades de murs de pierre. Des tourelles, dont le sommet était masqué par cette brume impénétrable, se succédaient inlassablement. A présent, la nuit était tombée, une nuit noire, sans lune.  Ils étaient condamnés à errer pendant de longues heures, dans l’attente d’une accalmie.

Nul ne sait s’ils sont parvenus à quitter la cité. Aujourd’hui encore, on raconte qu’ils errent dans les ruelles. A la nuit tombée, on peut même entendre le cliquetis des chaines du pont levis qu’ils essaient vainement de soulever. Si un jour vous passez par là, tendez bien l’oreille et écoutez. Vous ne me croyez pas ? Allez visiter la cathédrale, en passant par la rue Voltaire. Lorsque vous franchirez le porche, observez les impacts laissés par les barres de fer sur la porte. Si ça ce n’est pas une preuve…

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Comment l’idée de cette histoire a-t-elle fait son petit bonhomme de chemin ?

L’idée de cette histoire m’est venue en rentrant chez moi, après un grand week-end. Je roulais sur l’autoroute en écoutant la radio lorsque l’animateur a annoncé le groupe Superbus. Je suis dans la totale incapacité de citer le moindre de leurs titres et pourtant, je me suis souvenue à cet instant d’avoir pris cette photo  il y a quelques années. J’avais trouvé l’information totalement décalée : un concert de rock annulé pour cause d’extinction de voix dans la belle cité de Carcassonne. Je n’aurais jamais imaginé, à ce moment-là, que cette photo m’inspirerait cette histoire un peu tarabiscotée.

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Les gargouilles de la cathédrale Saint-Michel (Carcassonne)

30 réflexions sur “Le concert est annulé – petit défi littéraire

  1. Les idées, l’inspiration arrive souvent quand l’esprit est occupé à autre chose, dans un état d’attention flottante, comme en voiture ou au moment de laver la vaisselle. Et je trouve que cette histoire en est un bon exemple! La voiture, le souvenir de la photo, l’ambiance particulière d’une ville médiévale, et voilà le résultat! J’ai particulièrement aimé l’arrivée de la jeune fille qui vient tordre l’histoire de 90 degrés pour en faire une nouvelle fantastique!

  2. Il y a quelques années Johnny Halliday avait également annulé un concert en raison d’une extinction de voix, pour dédommager son public qui avait payé le prix fort Johnny a été remplacé par Véronique Samson mdr!!!
    Bisous et bonne soirée!!!
    Domi.

    • Merci…
      J’aime moi aussi cet effet qui consiste à mélanger la réalité et la fiction pour rendre une histoire plus crédible. Je me souviens avoir fait des recherches, suite à la lecture de certains romans qui usaient de cette technique. Pour l’un d’eux, je me suis même rendue sur les lieux afin de me rendre compte par moi-même. 🙂

  3. Joli conte urbain, avec une Dame Carcas à l’aise avec les sauvageons digne d’une ministre de l’intérieur….des murs de Carcassonne..
    Très réussi ce texte.
    bonne journée

  4. Bonsoir,
    Excellent, j’aime cette imagination, qu’un écrit, un spectacle annulé ou autre chose inspire la narration. Bravo et ce final au parfum médiéval pas mal.
    Bonne soirée
    @mitié

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