L’instrument du pouvoir – petit défi littéraire

Voici ma participation au défi “Des mots, une histoire 75″ lancé par Olivia sur le blog “Désir d’histoires“.

Le défi :  écrire un petit texte dans lequel les mots suivants doivent obligatoirement figurer.

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idole – cocon – interminable – inavoué – permis (n.m.) – machine – chemise – voilure/voile – zinc – dogmatique – poursuite – foie – autorisation – écrire – souvenir – cyanure – palétuvier

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A la fin du texte, vous trouverez un mini bonus, où j’explique comment m’est venue l’idée de cette histoire…

L’instrument du pouvoir

Je n’aurais jamais dû accepter cette mission…

Pour d’obscurs motifs inavoués, le colonel nous a engagés, Williams, Mc Laughlin et moi-même sans nous en donner les moindres détails. « Secret défense » ont été les seuls mots qu’il a daigné prononcer. Certes, il avait prouvé par le passé son engagement pour son pays, lorsqu’il avait participé à la lutte menée contre les pirates des mers, voguant toutes voiles dehors dans le golfe d’Aden.  De plus,  tel une idole, il avait toujours été adulé par les nouvelles recrues. Mais cela suffisait-il à lui octroyer une telle légitimité et un tel pouvoir ? De quel droit nous a-t-il jeté avec autant de désinvolture dans la gueule du loup ? Avait-il eu une autorisation expresse du gouvernement ? Je ne le saurai jamais.

Lors de notre dernière entrevue,  le colonel  nous a fait signer un papier qu’il avait dû taper à la machine à écrire, car la typographie était irrégulière. Ce détail aurait dû nous alerter, car plus personne n’écrit à la machine depuis bien longtemps. Ce document n’avait donc rien d’officiel. Pourtant, aucun d’entre nous n’y a prêté attention. Avec ses pantalons au pli toujours impeccable et ses chemises d’un blanc immaculé, il forçait l’admiration et le respect.

Lorsque nous sommes montés dans la navette, un sentiment de fierté s’est emparé de moi. Sans me vanter, je pense que nous sommes tous trois les cosmonautes les plus chevronnés de cette dernière décennie. Nous avions largement gagné le droit de rejoindre enfin la station spatiale internationale. Quelques minutes après le décollage, nous avons compris que nous nous étions fourvoyés ou plutôt que nous avions été abusés. Le visage du colonel  est apparu sur l’écran. Sa bouche formait des mots que je comprenais, mais je n’arrivais pas à intégrer le message qui, pourtant, nous parvenait distinctement : nous nous dirigions vers un  satellite géostationnaire, sur lequel une défaillance avait été détectée. Sa remise en service nous incombait. Quand la navette est arrivée au plus près de l’engin, nous avons enfilé l’équipement adéquat, une sorte d’énorme scaphandre équipé de bouteilles d’oxygène et d’un mousqueton auquel était fixé un câble qui nous reliait à la navette. Nous sommes sortis.

Des heures durant, nous avons travaillé d’arrache-pied, guidés à distance par un technicien de la NASA. Le satellite, aussi sophistiqué soit-il, semblait fait de bric et de broc. Ses parois rappelaient les plaques de zinc qui recouvrent certains hangars. Nous étions prêts à retourner dans la navette qui nous attendait, tel un cocon douillet, à une dizaine de mètres de là. C’est alors que la voix du colonel nous est parvenue, parfaitement audible. D’un ton dogmatique, sans nous laisser le temps de répondre, il dit d’un ton sec :

– Vous serez à jamais des héros…

Les filins ont claqué l’un après l’autre, dans un silence oppressant. Toute communication a été coupée.

A présent, nous sommes seuls, chacun dérivant dans un interminable voyage vers l’infini. Je ressens dans mes entrailles cette angoisse d’avoir été le simple instrument d’un abus de pouvoir, d’un permis de tuer. Le regard de Williams et de Mc Laughlin me renvoie à mes propres peurs : je sais que je ne reviendrai jamais sur cette Terre que j’ai tant chérie. Je sais également que j’ai été entraîné et préparé à ce type de situation. Je dois cesser de m’enfermer dans la poursuite d’une échappatoire et agir vite. Dès que le cyanure se répandra sur ma langue, mes organes seront irrémédiablement mis hors circuit, à commencer par le foie, les poumons et le cœur.

Je sombre dans l’inconscience, bercé par le souvenir heureux du vent dans les palétuviers, quelque part en Martinique.

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Comment l’idée de cette histoire a-t-elle fait son petit bonhomme de chemin ?

Dès que je me suis levée, mardi matin, j’ai immédiatement pensé : « aujourd’hui, c’est le jour de la collecte des mots. Il va me falloir trouver une idée. Lors de ma première participation, je n’avais aucune idée de ce que j’allais écrire. C’est simplement le mot « éruption » qui a été le déclencheur. Cette fois-ci, je voulais que ce soit différent. J’ai réfléchi à la réponse que m’avait faite Olivia lorsque je lui ai demandé si c’était l’un des mots ou bien un événement extérieur qui l’avait amenée à écrire son histoire. En fait, elle connaissait déjà le thème de son histoire, avant de l’avoir écrite.

Donc, mardi matin, je suis partie au travail dans cet état d’esprit : trouver d’abord une idée d’histoire, puis faire coller les mots collectés à mon histoire. Une sorte de défi dans le défi. Le moment propice ne s’est pas fait attendre. Je discutais de tout et de rien avec un collègue, à la machine à café, lorsque, mystère des discussions sautant du coq à l’âne, nous avons abordé le sujet du cyanure (rassurez-vous, je n’ai nullement l’intention d’empoisonner qui que ce soit  🙂  ). C’est là que j’ai appris que les cosmonautes qui partent en mission dans l’espace emportent avec eux une dose de cyanure, pour faire face à une situation extrême qui les empêcherait de revenir sur Terre.

J’ignore si l’information est vraie ou pas, mais à cet instant précis, j’ai su comment mon histoire se terminerait : un cosmonaute met fin à ses jours en prenant une capsule de cyanure. Le plus étonnant dans cette aventure, c’est l’impression que sans les mots imposés, je n’aurais jamais réussi à écrire cette histoire. Bizarre…

Bon, cette fois-ci je pense avoir fait ce qu’il faut pour qu’aucune suite ne soit envisageable  🙂 .

A propos d’inspiration, j’ai bien envie de me laisser tenter par un article sur le sujet. Je vais y réfléchir…

Et vous, comment vous est venue l’inspiration pour le défi 75 ?

40 réflexions sur “L’instrument du pouvoir – petit défi littéraire

  1. olala, quelle histoire! et quelle fin!
    et tu y a pensé depuis le mardi?
    je comprends pourquoi mes épisodes sont courts, j’ai vu les mots ce soir et j’ai essayé de faire tant bien que mal une suite à mes précédents épisodes, en préparant le souper, et voilà!

    et tu sais que c’est sur ton blog que j’ai découvert le défi d’Olivia?
    alors , grand merci!

    mais, dis, est-ce que ta capsule de cyanure ne pourrait-elle pas être fausse pour que ce suicide soit raté et qu’il y ait une suite? comme ça… j’aimerais bien

    • Merci patchcath.
      Donc tu aimes toi aussi te creuser la tête pour trouver l’IDEE ? En faisant le souper… ce qui devrait t’inspirer quelque chose en rapport avec la nourriture… J’irai voir.
      Il me semble qu’il s’agit d’une véritable capsule de cyanure. 🙂 C’est mieux que de dériver sans fin dans le vide sidéral, non ?

  2. Un texte que j’aime beaucoup. Une fin tragique mais le tout bien mené. En ce qui concerne l’inspiration, elle me vient la nuit comme pour tous mes romans. Cette semaine je me suis contentée d’un texte court car il y aura une suite car il s’agit d’un nouveau roman,qui fait partie d’une série à présent.
    Encore bravo
    Amicalement
    Violette

    • Merci beaucoup Violette.
      C’est vrai que la nuit est un moment propice pour trouver l’inspiration…
      Tu fais donc partie de ceux qui écrivent une histoire à épisodes. C’est très audacieux, car il faut faire coller à chaque fois les mots à la même histoire qui se poursuit dans le temps.
      Bonne continuation alors…

  3. 😀 Une belle histoire … avec une belle cohérence avec les mots imposés ! Et le défi dans le défi, c’est un peu ce que je vis chaque semaine depuis quelques (nombreuses) semaines. Le fait d’écrire des suites m’oblige à rester dans un contexte similaire ou proche au précédent. Ce sont dans les variations de l’histoire que mon inspiration me mène. Merci pour ton éclairage, c’est très intéressant à lire !

    Coincoins lunaires

    • Merci pour ton commentaire elcanardo.
      Effectivement, tu fais partie de ceux qui ont choisi d’écrire une histoire à épisodes. Quelque part, c’est une prise de risque, étant donné que tu dois à chaque fois respecter une double contrainte. Chapeau !

      • En fait, ça a quelque chose d’assez exaltant, je l’ai fait sur 14 semaines, avec Tes mains dans les miennes, que je suis actuellement en train de retravailler pour en faire un très court roman. 🙂

      • Bonne idée… Faire de tous ces épisodes un court roman.
        Cela fait longtemps que tu publies ?
        Parfois, j’aimerais franchir le pas, mais comment choisir un éditeur ? A moins que ce ne soit l’éditeur qui te choisisse… Je suppose qu’au départ tu as proposé tes récits à plusieurs maisons d’édition ?
        En tout cas, félicitations pour tout ce que tu entreprends ! Je suis réellement impressionnée.

      • 2006 pour mon premier roman (tu trouveras les détails dans la rubrique bibliographie sur mon blog). Mais j’écris depuis bien longtemps et, oui, j’ai envoyé des récits à d’autres éditeurs avant le oui. 😉

    • Merci Caroline.
      Y aurait-il un message caché sous ce « du vrai de vrai cyanure ? » 🙂
      C’est bien du vrai cyanure. J’aime bien les histoires courtes, avec une chute. En écrivant une suite, je risquerais de m’enliser complètement.

      • C’était une blague, bien sûr 😉
        Ta fin était très bien. Et tu respectais parfaitement la convention de la nouvelle littéraire qui dit que chaque mot dès le premier doit préparer le lecteur à la finale!

      • C’était une blague, bien sûr!
        En fait ta fin était très bien. Et ta nouvelle respectait bien les contraintes du genre: chute « étonnante », et chaque mot, dès le premier, qui prépare le lecteur à la fin (tout en conservant l’étonnement!).

  4. Pingback: Trois heures du matin « Désir d'histoires

  5. super texte, moi pour trouver un semblant d’idée, je bouge, je fais du sport et je me creuse la tête mais j’essaie à chaque défi de faire plus de progrés d’écriture ou de description pour l’instant je ne suis pas trop satisfaite de ce que j’écris mais bon avec le temps et du travail un jour j’y arriverai bonne journée

  6. Super, j’adore ton histoire, même si elle finit tragiquement!!! Pour ma part, comme je le dis dans mon histoire, en général j’aime raconter des histoires drôles et jamais de suite, mais cette fois je n’ai trouvé aucun mot qui aurait pu en faire émaner quelque chose de drôle. Je participe à de nombreux défis, j’aime le jeu des mots, et surtout m’en amuser. Et tout comme toi, j’y pense à tout moment de la journée ou de la nuit lol!!! Et au lieu de prendre des notes lorsqu’une idée me vient je me répète les mots , un peu comme si je récitais une leçon, ce qui veut dire que mon esprit est toujours en ébullition parfois on me rappelle à l’ordre à la maison lol!!!
    Enfin suite ou pas suite, c’est avec plaisir que je reviendrais.
    Bonne journée.
    Domi.

    • Merci dimdamdom…
      Je vois que toi aussi tu fonctionnes par imprégnation, même si pour ma part je n’y pense pas à longueur de temps. Tes proches doivent se poser des questions, non ? En fait, je trouve ça très amusant et j’imagine bien la scène… 🙂

  7. Thème intéressant, bonne idée !
    Cela dit, je ne procède pas toujours ainsi, la semaine passée, oui, mon texte était déjà écrit avant la récolte des mots, mais il arrive que ce soit un des mots qui donne le déclic. Ou parfois je n’ai qu’une vague idée du récit, et je laisse venir, avec les mots…
    🙂

  8. Tout à fait remarquable,sur un sujet pas facile,technique même.Bravo.On a tous sa manière de s’emparer de ces listes de mots,c’est très stimulant.
    Eeguab

  9. Un fin tragique mais une belle image pour la fin … Les palétuviers de Martinique
    Pour l’inspiration, j ‘ai un petit carnet avec quelques idées d histoires courtes et une histoire en cours plus longue ! Une fois que les mots sont tombés, je choisis soit de continuer l’histoire longue, soit de faire un texte sans suite de mon petit carnet, soit un des mots déclenche une nouvelle idée : le cas du mot lapsus il y a trois semaines …
    Bonne soirée 🙂

  10. Belle histoire, la fin est une possibilité et rêver des plages des Antilles, pas mal.

    En principe c’est le premier mot posé qui lance l’histoire, mais pour cette fois ci je suis pris dans une tourmente sur une certaine longueur…oups!
    Bonne soirée
    @mitié

  11. Peut-être que la date de péremption de la capsule aura été dépassée ….
    Pour ma part, je lis une fois les mots en les enregistrant et je m’ en vais …
    Ensuite, l’ un d’ entre eux s’ impose (là, c’ était palétuvier ») et sert de déclencheur. Je n’ ai aucune ambition littéraire, je me fais juste plaisir. Je n’ y passe pas beaucoup de temps: les délais sont courts ! Si, quelquefois, j’ amuse mes visiteurs, j’ en suis contente.

    • 🙂
      C’est une bonne idée de s’imprégner des mots et de laisser poser. Se faire plaisir est essentiel. S’il fallait écrire sous la contrainte, qu’est-ce que ce serait ennuyeux !
      Quant à amuser tes visiteurs, j’en suis convaincue. Tes textes sont toujours pleins d’humour.

  12. Très jolie histoire! Qui, comme toute bon récit, conserve une bonne part de mystère, malgré la finalité de sa conclusion: les raisons de ce colonel et de sa trahison restent dans l’ombre et excitent ma curiosité. Merci 🙂

  13. un bon texte et une suite dans les idées, mais une question, très terre à terre me brûle les lèvres : comment a-t-il fait pour relater ses mémoires ? hi ! hi ! hi ! quant à la capsule de cyanure je ne savais pas que les astronautes en possédaient une, très bonne initiative !
    Pour la naissance de mes textes, que je veux courts pour qu’ils soient lus sans ennuyer , je lis les mots, l’histoire arrive tranquillement, du moins l’atmosphère et mes souvenirs personnels font le reste. Je ne me casse pas la tête.

    • En fait, il n’a pas écrit ses mémoires. Ce sont ses pensées au moment où il commence à dériver vers nulle part. Après, comment le lecteur a-t-il pu accéder à ses pensées… mystère. 🙂
      J’aime bien quand tu dis « l’histoire arrive tranquillement ». C’est sûrement ça le secret : ne pas vouloir à tout prix que les idées viennent, mais les laisser venir.

  14. Ha je viens enfin te lire ! Je participe chez Olivia depuis plus d’un an (pas vendredi dernier) et j’avoue que l’inspiration naît d’un mot imposé ou, si j’ai déjà une idée en tête, elle est modifiée en cours de route par les autres mots, bref c’est au petit bonheur la chance ! Quant à ton texte bravo, l’idée et le style sont excellents ! 🙂

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